La laïcité dans le monde du travail

, par Claire

Après des débats essentiellement concentrés sur la sphère publique, notamment à l’école, les questions d’expression religieuse se sont progressivement élargies au domaine des entreprises privées. Depuis quelques années, on assiste à une augmentation des revendications d’expression religieuse dans les entreprises telles que le port de vêtements spécifiques à certaines religions, les demandes d’horaires aménagés ou des jours fériés, les demandes de repas spécifiques… Médiatiquement, c’est l’Affaire Baby-Loup qui a mis en lumière cette problématique à laquelle sont de plus en plus confrontées les entreprises.

Dans un premier temps, les situations se traitaient au cas par cas, de manière très différenciée d’une entreprise à l’autre, voire d’un service à l’autre au sein d’une même entreprise. Mais, les exigences et revendications religieuses augmentant de manière significative dans le monde du travail tout comme l’intérêt suscité dans la société, un débat plus général semble désormais inévitable.

Avant de rentrer dans le cœur du sujet, il est essentiel de rappeler en premier lieu la position de Force Ouvrière sur le principe même de laïcité.

1. Force Ouvrière et le principe de laïcité

Nous ne cessons de le rappeler, Force Ouvrière est viscéralement attachée aux valeurs républicaines. Au triptyque liberté, égalité, fraternité, nous ajoutons toujours la laïcité. La laïcité a donné tout son sens aux valeurs républicaines dont l’égalité des droits est le facteur clé.

Pour Force Ouvrière, le principe de laïcité, cœur de la République, est également au centre de notre conception de l’indépendance syndicale. Mais cette laïcité est plus que jamais soumise à l’épreuve des communautarismes. Pour Force Ouvrière, la défense des droits et garanties des salarié(e)s dans le respect du principe d’égalité fonde un combat légitime qu’elle poursuit au travers de la défense d’une République laïque.

Notre organisation se base, pour définir le mot laïcité, sur son étymologie qui vient du grec laos signifiant population unie, indivisible. La laïcité est donc l’union du peuple rassemblé autour des principes de la liberté de conscience, l’égalité de traitement de toutes les convictions spirituelles et le principe d’universalité. Comme nous le disons régulièrement, nous ne confondons pas les citoyen(ne)s et les travailleurs-euses, nous ne confondons pas non plus la sphère publique et la sphère privée.

Mais, que l’on soit fonctionnaire ou salarié(e) du privé, la laïcité doit être un combat commun à l’ensemble des salarié(e)s.

2. Application du principe de la laïcité dans l’entreprise

Comme l’a précisé le HCI (Haut Conseil à l’Intégration, Avis sur l’expression religieuse et laïcité dans l’entreprise, 1er septembre 2011.), dans son rapport de 2011 sur l’expression religieuse et la laïcité en entreprise, il existe trois sphères où les principes de laïcité s’appliquent différemment : la sphère publique où les principes de laïcité et de neutralité sont imposés aux agents du service public ; le domaine privé qui comprend le domicile mais également d’autres espaces de vie privée et l’espace social qui définit le domaine public de circulation et les entreprises privées ouvertes au public et aux usagers.

Force Ouvrière ne remet en aucun cas en doute la liberté de conscience permise par notre République dans ces différentes sphères. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 rappelait à ce sujet que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Force Ouvrière tient à rappeler son attachement à l’égalité de traitement entre croyants et non-croyants tout comme l’égalité entre croyants des différents cultes. L’État démocratique doit agir en toute neutralité et assurer les principes de liberté de conscience et de non-discrimination.

Mais le principe de laïcité en entreprise pose parfois la question de son articulation, de l’équilibre à trouver, avec la question des libertés individuelles. Le respect des opinions, notamment religieuses, des salarié(e)s (inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé dans son travail ou dans son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ») est une nécessité. Cependant, la démonstration de ces opinions ne doit pas être un frein à la cohésion du collectif et perturber l’exercice du travail.

S’agissant de la sphère publique, Force Ouvrière est très attachée à l’obligation de neutralité d’apparence (interdiction de manifester ses convictions religieuses) s’appliquant aux agents publics. Nous pensons que l’impartialité de tout fonctionnaire doit continuer à se manifester également dans l’apparence de cette impartialité.

Dans la sphère privée, l’article L 1121-1 du code du travail énonce que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Force Ouvrière précise toutefois que l’expression religieuse ne doit en aucun cas centrer l’intérêt sur les individus, les communautés au détriment du collectif de travail dans son ensemble. S’ajoute à cela, la question des principes fondamentaux d’égalité entre les femmes et les hommes qui ne doivent aucunement être remis en cause sous couvert de pratiques religieuses.

3. Articulation laïcité et droit du travail

Actuellement, le principe de laïcité ne s’applique pas dans les entreprises privées n’ayant pas en charge un service public. De plus, l’insertion dans le règlement intérieur (RI) d’un article imposant la neutralité est interdite et peut être considérée comme une discrimination directe. Dans ce sens, l’article L 1321-1 du code du travail précise que les dispositions de ce règlement ont un caractère limitativement défini et ne doit pas introduire, entre autres, de discriminations à raison des mœurs, des opinions ou de la religion des salarié(e)s.

Toutefois, si la limitation de l’expression religieuse est partielle et justifiée, l’employeur peut l’appliquer. La Cour européenne des droits de l’homme précise ainsi les critères pouvant justifier la limitation de l’expression religieuse en entreprise : « La manifestation de la conviction religieuse ne doit pas entraver les règles d’hygiène, de sécurité, de liberté de conscience des autres, ni les aptitudes nécessaires à la mission et à l’organisation de la mission de l’employé. » Force Ouvrière rappelle à cet effet que les impératifs de santé et sécurité doivent, sans exception, être prioritaires face aux prescriptions et interdits religieux. L’employeur a également le droit d’inscrire dans le règlement intérieur les limites à la liberté d’expression reconnues par les droits tels que les injures et propos diffamatoires, les actes de prosélytisme, les actes de pression sur les autres salarié(e)s.

Rappelons que lorsque l’employeur modifie le RI, notamment pour y inscrire ces limitations, le règlement intérieur doit être soumis au comité d’entreprise (ou aux délégués du personnel) et au CHSCT (pour les points relevant de sa compétence).

4. Positionnement

Force Ouvrière demande tout d’abord que les différents lieux où s’appliquent strictement les principes de laïcité et de neutralité soient clairement réaffirmés. Notre organisation souhaite également voir ces principes de neutralité et de laïcité élargis aux structures privées du secteur médico-social et de la petite enfance (crèches, maisons de retraite, hôpitaux et cliniques, centres d’accueil…).

Pour ce qui concerne la sphère de l’entreprise privée, renvoyer le règlement des difficultés rencontrées au niveau de l’entreprise ne manquerait pas de créer des situations différenciées.

Les points sensibles tiennent à l’identification des portées et des limites, dans la sphère de l’entreprise, de l’égalité devant la loi sans distinction de religion, et du respect de toutes les croyances affirmés par la constitution : caractère ostentatoire de pratiques et signes religieux compris comme comportement manifestement prosélyte ; aménagement de l’organisation du travail perturbante du point de vue de l’égalité de traitement et des conditions travail.

Cela pourrait conduire à la perception d’une disparité de traitement, entre salariés d’une même entreprise ou d’une entreprise à une autre, à laquelle serait alors opposé le principe de non discrimination à l’échelle nationale. La résolution de ce problème dans ces conditions pourrait alors conduire à l’affaiblissement du principe de laïcité de la République.

L’entreprise est un lieu de rapports économiques et sociaux. Elle n’a pas à être considérée comme un lieu d’expression politique, philosophique ou religieuse, au risque de devenir un terrain d’opposition de convictions. Elle ne peut d’une manière générale être le lieu de l’organisation de la démocratie, a fortiori de la république, ni de la citoyenneté.